Prix des professionnels de recherche 2022
Claudia Moreau
Université du Québec à Chicoutimi
S’amuser avec les données
Par la bio-informatique, Claudia Moreau sonde les mystères de notre ADN. Ceux qui nous lient à nos aïeux comme ceux qui nous prédisposent à certaines maladies.
En novembre 2011, Claudia Moreau a connu un moment de grâce du genre qui fait rêver le monde de la recherche. La prestigieuse revue Science a publié l’un de ses articles! Avec une équipe de chercheurs, la professionnelle avait analysé la généalogie des pionniers ayant peuplé Charlevoix et le Saguenay–Lac-Saint-Jean durant trois siècles. Elle avait alors découvert que la génération qui défrichait une région, le « front de colonisation », faisait plus d’enfants que celle laissée derrière. « Ces gens avaient plus de chances de transmettre leurs gènes, peut-être parce qu’ils avaient de l’espace pour s’établir et un mode de vie très actif », explique-t-elle. Une trouvaille que la publication scientifique américaine a célébrée par une conférence de presse à Montréal.
Analyser des masses d’informations pour en tirer du sens, voilà ce qui passionne cette mordue de bio-informatique. « J’aime m’amuser avec les données pour voir ce qu’il peut en sortir d’intéressant, résume-t-elle. C’est le conseil que je prodigue à tous les étudiants que je côtoie : ayez du plaisir! » Une sage approche, qui lui vaut aujourd’hui la troisième place dans la catégorie Santé aux Prix d’excellence des professionnels de recherche 2022.
Titulaire d’une maîtrise en médecine expérimentale, Claudia Moreau travaille depuis 2018 au laboratoire Genopop, dirigé par le professeur Simon Girard à l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC). Entre autres projets, l’équipe fouille le génome humain pour y trouver les causes de maladies neuropsychiatriques, dont l’épilepsie et la schizophrénie. La lauréate y gère un ensemble de données massives qui figure parmi les plus importants au Canada.
La native de la région de Baie-Comeau quitte tôt sa région pour étudier en science. En 2001, elle lance sa carrière de professionnelle au centre BALSAC, à l’UQAC. Ce dernier reconstitue l’histoire de la nation québécoise par la généalogie en s’appuyant sur une colossale base de données. Elle se joint ensuite à l’équipe d’un spécialiste de la génétique des populations, le professeur Damian Labuda, au Centre de recherche du Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine, à Montréal. Pendant 15 ans, elle y travaille sur des sujets comme l’« effet fondateur », ces particularités du génome qui apparaissent quand un pays est peuplé par un nombre restreint d’ancêtres. Elle contribue à monter une cohorte de plus de 800 personnes qui fournissent leur ADN ainsi que leur arbre généalogique. Elle se déplace sur un vaste territoire pour recruter des participants et participantes, de la Gaspésie à l’Abitibi.
« Diffuser la science, j’adore ça, confie-t-elle. Les gens n’ont pas idée de ce qu’on fait, mais quand on prend le temps de l’expliquer, ils comprennent très bien. Démocratiser la recherche est important pour moi. » Tous les moyens sont bons pour faire connaître les travaux auxquels elle contribue. Articles, entrevues, exposés… En 2017, elle présente au musée Pointe-à-Callière l’art d’identifier les os anciens des ancêtres en mariant génétique et généalogie. Québec Science explore le sujet dans une nouvelle et un interview.
Cette grande curieuse n’hésite pas à retourner sur les bancs d’école au besoin. C’est ainsi que l’évolution des technologies la pousse vers la bio-informatique, en 2006. L’époque se termine où l’on étudiait des régions bien circonscrites du génome en effectuant des manipulations à la main. En voyant exploser le nombre des données issues du séquençage, la scientifique comprend qu’elle ne pourra bientôt plus les traiter dans Excel… Dans la trentaine, entre ses deux grossesses, elle se forme en programmation à l’Université de Montréal. Elle ajoute ainsi un cours par semestre à son travail à temps plein et à sa vie de jeune maman. « Je rêvais la nuit à des lignes de commande », rigole-t-elle! Aujourd’hui, elle réalise ses propres analyses en recourant aux serveurs ultrapuissants de l’Alliance de recherche numérique du Canada et initie la relève de l’UQAC à cette discipline.
Établie à Laval, la professionnelle coordonne le laboratoire à distance — une expérience qui s’est révélée bien utile durant la pandémie. Elle guide les étudiants et étudiantes dans leurs projets, rédige des demandes de subvention, rencontre le comité d’éthique. Elle a publié jusqu’ici une quarantaine d’articles, dont neuf comme première auteure.
Ces temps-ci, elle se consacre aussi à la science citoyenne avec la Cohorte participative du Québec. L’équipe recrute des personnes qui ont passé des tests d’ADN proposés par des compagnies comme Ancestry, 23andMe et MyHeritage. Elle espère ensuite croiser ces données brutes avec les informations liées à leur filiation. « On souhaite ainsi inclure des gens de tous les milieux et toutes les origines, car notre premier groupe comprenait surtout des membres installés dans leur région depuis plusieurs générations », précise-t-elle. Cet outil sera accessible sans frais au monde scientifique. L’équipe communiquera les résultats de ses études aux participants et participantes, sur son site copaq.ca et sur sa page Facebook.
Ce qui rend Claudia Moreau fière de son parcours? Avoir pu mener ses propres projets, avec l’appui des chercheurs côtoyés au fil des ans. Elle reçoit donc avec gratitude la distinction décernée par les Fonds de recherche du Québec. « Ce prix démontre qu’il est possible de faire une belle carrière en science sans faire un postdoctorat et gérer un gros laboratoire, estime-t-elle. J’encourage chaque personne à suivre sa curiosité et son ambition. Et tant mieux si ça convainc quelques femmes de choisir cette voie. En recherche, on a besoin de tout le monde… »
Au sujet de ce prix
Les Prix d’excellence des professionnels de recherche mettent en lumière l’apport crucial de ce personnel à l’avancement du savoir et à l’innovation au Québec. Ils ont été créés en 2016 par la FPPU et deux autres syndicats avec le soutien des Fonds de recherche du Québec. Trois bourses de 2500 $, 1500 $ et 1000 $ sont attribuées dans chaque catégorie : Nature et technologies, Santé ainsi que Société et culture.
Photo : Claudia Moreau, troisième place dans la catégorie Santé aux Prix d’excellence des professionnels de recherche 2022. / source collection personnelle