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Prix des professionnels de recherche 2022

Prix des professionnels de recherche 2022

Frédérique Cornellier

Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue

 

Kwe kwe, voisins!

En voyageant à l’étranger, Frédérique Cornellier a réalisé qu’elle souhaitait en apprendre davantage sur les peuples autochtones de son propre pays. Elle y voue maintenant sa carrière.

 

En octobre 2015, des femmes autochtones rapportent à l’émission Enquête avoir subi divers sévices aux mains de policiers. La « crise de Val-d’Or » vient d’éclater. L’affaire pousse le gouvernement à lancer des audiences publiques sur l’accueil que certains de ses services réservent aux premiers peuples. La commission recueille les témoignages de 450 personnes, puis formule des appels à l’action. Pour codiriger l’équipe de recherche, elle nomme une jeune professionnelle de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT) : Frédérique Cornellier.

 

« Le défi était colossal », convient l’anthropologue, alors âgée de 34 ans. Cette enquête hyper médiatisée s’avère de première importance pour les Premières Nations et les Inuits. D’avril 2017 à octobre 2018, la conseillère en développement de projets autochtones et chargée de cours prend congé de sa carrière universitaire pour coordonner ce chantier de recherche. Il lui faut déployer une équipe de quelque 25 personnes et l’arrimer avec les spécialistes juridiques, psychosociaux, communicationnels, etc. Et les dossiers sont chauds. « Ce qui était fabuleux, c’est que tout le monde pagayait dans le même canot, vers le même but, décrit-elle. Une période exigeante, mais enrichissante! »

 

Voilà le genre de réalisations qui vaut à Frédérique Cornellier le Prix d’excellence des professionnels de recherche en 2022 — troisième place, catégorie Société et culture. Son travail la passionne. « Je considère comme un privilège de pouvoir collaborer avec des personnes autochtones pour que leurs communautés soient mieux connues et comprises, et en mesure de s’autodéterminer », formule-t-elle.

 

C’est en rentrant d’un séjour d’un an à Terre-Neuve, en 2004, que cette citoyenne du monde prend conscience de son intérêt pour les diverses civilisations. Elle choisit alors l’anthropologie, effectuant un baccalauréat à Québec et une maîtrise à Montréal. « C’est là que j’ai réalisé que je connaissais peu les populations de ma propre ville. » À la fin de ses études, elle s’établit à Val-d’Or, où vit une importante communauté anicinabe et crie, entre autres. Son mémoire examine la façon dont les Premières Nations habitent ce territoire urbain — joli prétexte pour aller à leur rencontre. Elle relate cette aventure dans Kitakinan… parce que la ville est aussi autochtone, ouvrage paru aux Éditions du Quartz.

 

Devenue agente de recherche à l’UQAT, elle se penche sur l’accès des Autochtones à l’éducation postsecondaire. En 2015, elle publie un rapport sur les besoins de ceux et celles qui fréquentent l’université ou le cégep de l’Abitibi-Témiscamingue. Des quelque 30 entrevues ethnographiques qu’elle mène, elle tire une passionnante série vidéo témoignant de la réalité vécue par ces gens. Elle conçoit de plus des outils pédagogiques pour aider le personnel enseignant qui les accueille.

 

Depuis janvier 2021, Frédérique Cornellier s’investit dans une nouvelle étude de la Chaire de recherche du Canada sur les enjeux relatifs aux femmes autochtones, dirigée par la professeure Suzy Basile. Son sujet : l’accès aux services de sages-femmes. Très peu de futures mères membres des Premières Nations profitent d’un tel accompagnement durant la grossesse et l’accouchement. Les sages-femmes pratiquent surtout dans le sud du Québec. Trop loin pour les Innues de la Côte-Nord, les Anicinabeg d’Abitibi-Témiscamingue ou les Atikamekw de la Mauricie… Le manque de suivi périnatal les force à s’exiler plusieurs semaines pour aller donner la vie dans un hôpital situé parfois à des centaines de kilomètres. Une réalité que l’universitaire a elle-même vécue en devenant mère, dans une maison de naissance de Gatineau. Pour elle, l’exil médical représentait un choix; pour nombre d’Amérindiennes et d’Inuites, c’est une obligation, faute d’alternative. Pouvoir consulter une accoucheuse diplômée permettrait aux résidentes des régions de passer ce grand moment près de leurs proches.

 

« Traditionnellement, des sages-femmes autochtones assistaient leurs consœurs durant la naissance, relate-t-elle. Mais la colonisation et la médicalisation de la grossesse ont saboté leur rôle et interrompu la transmission de leurs connaissances. Elles sont rares aujourd’hui. » La professionnelle cartographie actuellement les déplacements imposés aux futures mamans des Premières Nations pour obtenir ce service essentiel. Elle interroge en outre des directions de la santé des communautés ou organismes autochtones pour voir comment bonifier l’offre de soins périnataux. Ses recherches, soutenues par le ministère de la Santé et des Services sociaux, devraient se conclure sou peu. D’ici là, cette citoyenne engagée appuie à titre bénévole Objectif sages-femmes Abitibi-Témiscamingue, groupe qu’elle a cofondé en 2014.

 

De plus, la lauréate contribue à une démarche de reconnaissance territoriale entamée par l’UQAT. Avec le comité paritaire mis en place, elle pilote la cocréation d’un mécanisme pour saluer la présence des peuples autochtones dans la région. Le collectif espère élaborer un projet original, qui évitera le piège des paroles creuses en proposant des actions concrètes.

 

Son prix, Frédérique Cornellier le partage d’emblée avec ses collègues, toujours généreux de leur savoir. En particulier Suzy Basile et Janet Mark, membres des nations atikamekw et crie. « Cette distinction est une belle tape dans le dos, qui m’encourage à poursuivre mon travail », formule-t-elle avec gratitude.

 

Et si les cultures autochtones vous intriguent, la lauréate vous invite à parcourir la route des pow-wow cet été. « Ces fêtes proposent de la danse, de la cuisine, de l’artisanat… Ce sont des occasions parfaites pour aller à la rencontre des Premières Nations. N’hésitez pas à faire ces premiers pas! »

 

Au sujet de ce prix

Les Prix d’excellence des professionnels de recherche mettent en lumière l’apport crucial de ce personnel à l’avancement du savoir et à l’innovation au Québec. Ils ont été créés en 2016 par la FPPU et deux autres syndicats avec le soutien des Fonds de recherche du Québec. Trois bourses de 2500 $, 1500 $ et 1000 $ sont attribuées dans chaque catégorie : Nature et technologies, Santé ainsi que Société et culture.

 

Photo : Frédérique Cornellier, troisième place dans la catégorie Société et culture aux Prix d’excellence des professionnels de recherche 2022. / source UQAT