Vous avez des questions ?   819.840.4544   info@fppu.ca

Prix des pros de la recherche 2024

Prix des pros de la recherche 2024

Opération zénitude

 

Joelle Lepage cherchait comment mieux soutenir la santé mentale des jeunes. Elle coordonne aujourd’hui un programme qui apaise plus de 100 000 âmes partout au Québec !

 

Lorsque Joelle Lepage obtient sa maîtrise en psychoéducation de l’Université de Sherbrooke, en 2008, elle sait ce qu’elle veut comme carrière. Aider les jeunes et les familles : voilà ce qui la motive. Après une décennie de travail sur le terrain, toutefois, les questions se pressent dans sa tête. Pourquoi certaines clientèles vulnérables passent-elles sous le radar? Pourquoi les actions préventives sont-elles si rares? Pourquoi, surtout, les bonnes pratiques demeurent-elles méconnues?

 

Il n’en faut pas plus pour que cette intervenante empathique se réoriente en recherche. En 2017, elle entre au nouveau Centre RBC d’expertise universitaire en santé mentale de l’Université de Sherbrooke. Avec un objectif clair : partager les savoirs de pointe afin qu’ils contribuent concrètement au mieux-être de la jeunesse québécoise. « Je n’aurais jamais pensé faire de la recherche un jour, confesse-t-elle en souriant. Mais coconstruire avec la communauté des initiatives pour bonifier la couverture de services, ça me rejoint. »

 

C’est cet engagement en faveur des populations vulnérables qui vaut à la coordonnatrice un Prix d’excellence des professionnels et professionnelles de recherche. En 2024, le jury du Fonds de recherche du Québec lui décerne la 3e place dans la catégorie Société et culture. Dire que la principale intéressée a concouru à l’insistance de sa directrice! « J’ai été agréablement surprise que le FRQ reconnaisse la valeur de mon parcours, lance-t-elle avec humilité. Mon profil est très “terrain”. Mais justement, cette perspective scientifique atypique m’aide à combler le fossé entre la recherche et la pratique. »

 

Un profond désir d’aider

Aller vers les personnes vulnérables, c’est naturel pour Joelle. Au primaire, elle côtoie avec plaisir ses camarades vivant avec l’autisme ou la déficience intellectuelle; au cégep, elle passe plusieurs semaines dans un orphelinat en Inde. La psychoéducation s’impose vite à son esprit. Cette étudiante douée excelle dans sa discipline, au point de remporter la Médaille académique du Gouverneur général en 2008.

 

S’ensuivent des expériences de travail variées. Tantôt elle intervient auprès de familles d’ados en difficulté, tantôt elle facilite le retour à l’école de décrocheurs et décrocheuses. Au Centre jeunesse de l’Estrie, elle œuvre pendant six ans à la protection des enfants vulnérables. Entre deux emplois, cette globetrotteuse parcourt la planète. Elle séjourne des mois entiers en Inde, en Afrique, en Asie du Sud-Est. « Les voyages enseignent la gratitude, estime-t-elle. Et aussi à faire preuve de plus de souplesse dans le quotidien. »

 

Le Centre RBC : un projet à imaginer

En janvier 2017 arrive l’offre d’emploi du Centre RBC d’expertise universitaire en santé mentale. Le projet que vient de lancer le professeur Robert Pauzé — aujourd’hui dirigé par Julie Lane — la captive aussitôt. Comment bonifier les services donnés aux jeunes qui présentent un trouble de santé mentale, ou risquent d’en développer un? L’organisme naissant consulte une centaine de personnes évoluant dans ce milieu pour définir son modèle d’action. Sa coordonnatrice prend part à la réflexion. Elle veille aux activités courantes, anime des formations, produit des contenus vulgarisés. Elle accompagne en outre une douzaine d’étudiants et étudiantes par année.

 

Rapidement, le Centre RBC lance une initiative pour atténuer l’anxiété chez les jeunes. « Lors de nos consultations, tout le monde exprimait le besoin qu’on s’attarde à cet enjeu en priorité », rapporte la lauréate. L’organisme réunit un comité d’expertise, qui recommande d’instaurer des activités de prévention et d’intervention précoce pour compléter les services spécialisés déjà offerts aux personnes en détresse. Ainsi naît le programme HORS-PISTE, qui aide aujourd’hui plus de 100 000 élèves du primaire et du secondaire.

 

HORS-PISTE pour le bien-être de la jeunesse

« Le programme HORS-PISTE permet aux jeunes de développer leurs outils pour faire face aux défis de la vie. Il aide à prévenir l’anxiété, mais aussi d’autres problèmes d’adaptation », poursuit Joelle Lepage. Des ateliers en classe favorisent le développement des compétences psychosociales : apprivoiser ses émotions et son stress, apprendre à se connaître et à s’estimer, communiquer de façon positive avec autrui, etc. Alors que ce premier volet s’adresse à l’ensemble des jeunes, un second volet cible ceux et celles dont l’anxiété requiert une attention particulière. Les parents et membres du personnel scolaire disposent aussi de divers ateliers et outils, tels que la série de capsules vidéos L’anxiété chez nos enfants : que puis-je faire en tant que parent?.

 

L’initiative conquiert vite les milieux d’enseignement, qui contribuent à l’améliorer par leurs rétroactions. Chaque école l’implante en toute autonomie; l’équipe accompagnante est là pour guider et soutenir. Ce respect de l’expertise locale décuple la mobilisation. Bientôt, le projet s’étend dans tout le Québec grâce à des subventions majeures de l’Agence de la santé publique du Canada et du ministère de la Santé et des Services sociaux.

 

Résultat? Les jeunes développent une gamme d’habiletés clés : identifier et réguler ses émotions, par exemple, ou encore gérer ses conflits. Des recherches démontrent que le programme réduirait certains symptômes anxieux et facteurs de risque. « Des parents m’abordent pour me parler des effets positifs que le programme a eus sur leurs enfants, raconte la coordonnatrice. Des profs aussi me disent que les discussions menées en classe resserrent leur lien avec leurs élèves. » Une version adaptée s’implante d’ailleurs dans des centres de formation professionnelle ou de formation générale aux adultes.

 

Au secours des tout-petits à risque

La professionnelle coordonne bien d’autres travaux. Parmi eux figure le projet Diapason, implanté dans plusieurs centres de la petite enfance à Sherbrooke et à Québec. Soutenu par le ministère de la Santé et des Services sociaux et le ministère de la Famille, il rejoint plus de 150 bouts de chou provenant de foyers en situation de vulnérabilité. « On cherche à bonifier la qualité des services offerts à ces enfants dans les CPE, ainsi qu’à leurs parents. On vise à maximiser le développement des filles et des garçons pour éviter qu’ils accumulent du retard avant d’entrer à l’école. »

 

Par exemple, le projet envoie des spécialistes en ergothérapie et en orthophonie aider les éducatrices et éducateurs à perfectionner leur propre pratique afin d’appuyer au maximum le développement des tout-petits vulnérables. Il engage aussi des jeunes qui étudient en psychoéducation ou en adaptation scolaire pour prêter main-forte au personnel.

 

L’art de faire une différence

Ces chantiers représentent une énorme tâche de coordination, de mobilisation de partenaires, de rédaction de rapports. Et Joelle Lepage adore ça! « Côtoyer tant de personnes qui veulent faire une différence dans la société et qui ont plein d’idées pour y parvenir, c’est un privilège, s’emballe-t-elle. À commencer par ma directrice, qui pilote ces projets de façon extraordinaire. »

 

La lauréate trouve aussi son bonheur hors du bureau. Dans la forêt québécoise, où elle aime camper et randonner; dans le vaste monde, qui l’attire toujours. Après quelques années plus sédentaires pour raisons familiales, elle a emmené cet été ses enfants de 9 et 11 ans découvrir le Panama. « Mes cocos ont été extraordinaires hors des sentiers battus, se réjouit-elle. Ils ont hérité de mon esprit d’aventure! »

 

Alors que la santé et l’éducation font souvent l’objet de nouvelles déprimantes, Joelle Lepage, elle, choisit d’incarner la positivité. « Sans minimiser les enjeux de notre époque, il y a beaucoup de beau aussi, plaide-t-elle. Des gens passionnés malgré les difficultés, des jeunes engagés et épanouis, j’en rencontre chaque jour. À force de répéter que tout va mal, on ne les voit plus. C’est dommage. » Et surtout stressant. La lutte à l’anxiété ne fait que commencer…

 

Au sujet de ce prix

Les Prix d’excellence des professionnels et professionnelles de recherche mettent en lumière l’apport crucial de ce personnel à l’avancement du savoir et à l’innovation au Québec. Ils ont été créés en 2016 par la FPPU et deux autres syndicats avec le soutien des Fonds de recherche du Québec. Trois bourses de 2500 $, 1500 $ et 1000 $ sont attribuées dans chaque catégorie : Nature et technologies, Santé ainsi que Société et culture.

 

Photo : Joelle Lepage, 3e place dans la catégorie Société et culture aux Prix d’excellence des professionnels et professionnelles de recherche 2024. / source collection personnelle