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Prix des pros de la recherche 2024

Prix des pros de la recherche 2024

Le virus de l’apprentissage

 

Marilène Bolduc coordonne les activités d’un laboratoire qui rêve que le Québec devienne autonome en production de vaccins. Sa devise? Chaque problème est un enseignement.

 

Le 13 mai 2014 est une date que Marilène Bolduc n’oubliera jamais. Ce jour-là, pour la première fois, des volontaires ont reçu un vaccin contre l’influenza contenant des nanoparticules de virus de plante. L’injection s’est révélée efficace et sécuritaire. « Immuniser des humains avec la plateforme que nous avions fabriquée était un sentiment indescriptible, confie-t-elle. Honnêtement, j’ai été émue aux larmes! »

 

Depuis plus de 20 ans, la professionnelle agit comme bras droit du Dr Denis Leclerc au Centre de recherche en infectiologie du CHU de Québec–Université Laval. L’équipe qu’elle coordonne exploite une idée originale : utiliser un virus d’origine végétale pour créer une technologie de vaccination. À partir du virus de la mosaïque du papayer, elle fabrique une nanoparticule à laquelle on peut attacher des fragments d’un agent infectieux, comme le virus de la grippe ou de la COVID. L’injection de cet assemblage entraîne une réaction immunitaire qui, amplifiée par la présence des nanoparticules, permet de prévenir le développement de la maladie chez un humain ou un animal. « Ce virus de plante totalement sécuritaire présente des propriétés incroyables, s’emballe la scientifique. Il peut être utilisé en vaccination, en immunothérapie contre les cancers, et même pour prévenir les allergies. »

 

En 2024, Marilène Bolduc se classait en 3e place dans la catégorie Santé aux Prix d’excellence des professionnels et professionnelles de recherche. En mettant à jour son CV pour concourir, elle a mesuré tout le chemin parcouru depuis ses débuts. « Je n’ai pas des tonnes de brevets, je n’ai pas plein d’articles, je n’ai pas donné de conférences, dit-elle humblement. Par contre, je joue un rôle quotidien dans la mobilisation des connaissances et la formation de la relève, entre autres. Ça m’a touchée que le jury reconnaisse le leadership que j’exerce dans mon milieu. »

 

De l’éducation à l’entrepreneuriat

Marilène contracte très tôt le virus… de l’apprentissage. Formée en chimie-biologie au cégep, elle suit sa curiosité naturelle jusqu’au baccalauréat en biotechnologie que donne l’Université de Sherbrooke. En 2001, elle entre en stage auprès du professeur Leclerc, qui lui dépeint le potentiel médical du virus de la mosaïque du papayer. Le sujet passionne aussitôt l’étudiante, vite promue professionnelle de recherche. Au fil des ans, elle contribue à fabriquer la particule PapMV nano, puis à démontrer comment cette dernière stimule le système immunitaire. Elle cosigne une vingtaine d’articles savants.

 

En 2006, Denis Leclerc lance une entreprise pour mettre au point une technologie vaccinale fondée sur ses travaux. Bonjour, Folia Biotech! Objectif : mener PapMV nano jusqu’à la phase d’essai clinique chez l’humain, en assurant la manufacture fiable d’un produit efficace.

 

La coordonnatrice investit beaucoup de cœur dans cette aventure entrepreneuriale, promise à améliorer la vie de nombreuses personnes. Avec l’aide du Dr Pierre Savard, qui se joint à l’équipe pour établir la recette de fabrication du produit, elle veille notamment au contrôle de la qualité et au respect des normes. Elle apprend ainsi à documenter les travaux selon les bonnes pratiques de laboratoire. Chaque expérience est précédée par la rédaction d’un protocole détaillé, dûment approuvé, et d’une simulation pour éliminer les anicroches. Chaque problème qui surgit génère un amendement ou un rapport de déviation. « Nous formons nos membres à consulter ces documents pour éviter de répéter les mêmes erreurs. Cette discipline maximise l’utilisation des fonds de recherche », explique la lauréate. Folia Biotech réussit ainsi à implanter des processus fiables menant à des résultats reproductibles.

 

En 2010, la technologie est transmise à une entreprise torontoise, Therapure Biopharma, en mesure de la commercialiser. Marilène Bolduc s’envole fréquemment vers la métropole ontarienne et vit pendue à son téléphone. Cette femme ultra organisée, qui commence chaque journée en hiérarchisant ses priorités, s’engage à fond. « J’étais impliquée à un point presque irrationnel! Mais le transfert a été un succès, grâce à toute notre équipe. » Quatre ans plus tard se déroule l’essai clinique du vaccin contre l’influenza à l’action renforcée par PapMV nano.

 

Une nanoparticule, plusieurs usages

Parallèlement à cette incursion sur le marché, le laboratoire de Denis Leclerc continue ses activités universitaires. Car PapMV nano peut accomplir bien plus que mieux immuniser les gens contre la grippe saisonnière. Par exemple, il sert de base à un vaccin contre la covid testé avec succès sur des animaux. « Nous explorons maintenant ses applications en prévention et en traitement du cancer tout en poursuivant le développement de vaccins », résume la scientifique.

 

La nanoparticule attire l’attention d’autres chercheurs et chercheuses, qui y consacrent leurs propres études. Deux techniciennes travaillent désormais à produire PapMVnano, déclinable en plusieurs types. Et une professionnelle vaque à une méthode novatrice qui permet d’attacher des fragments de virus à la nanoparticule sans recourir au clonage.

 

Toute cette activité culmine dans le lancement de la plateforme de biofabrication de vaccins Québec-Leclerc. Fondée en 2023, la structure universitaire met à profit des dizaines d’appareils de haute performance acquis à l’aide de la Fondation canadienne pour l’innovation. Désormais, l’équipe peut non seulement créer et analyser ses propres vaccins, mais aussi offrir cette chance à ses homologues. D’abord dans son institution, puis, un jour, dans la province. « Un de nos rêves est que le Québec devienne autonome en production de vaccins. C’est pour participer à l’atteinte de cet objectif qu’on partage notre savoir et nos technologies », précise la codirectrice de l’initiative, qui a beaucoup contribué à sa mise sur pied.

 

Au laboratoire : rigueur et bonne humeur

Aujourd’hui, Marilène Bolduc aide à coordonner les travaux des membres de son équipe et des nombreux autres chercheurs et chercheuses qui utilisent PapMV nano. Elle gère les budgets des projets de recherches, écrit et révise des protocoles, exécute des analyses de laboratoires. Auprès de ses collègues, elle continue à promouvoir des méthodes de documentation perfectionnées. Elle incite aussi à inclure dans les propositions d’expérience un calendrier et des objectifs précis. « En recherche, il est facile de se décourager quand les résultats ne sont pas au rendez-vous. Un plan clair aide à rester motivé dans les moments creux », explique-t-elle.

 

Faire progresser le savoir, d’accord. Mais jamais aux dépens du bien-être des gens. « En science comme en sport, toute grande réussite naît d’un travail d’équipe. L’entraide est cruciale », poursuit cette humaniste. Bien sûr, contrôler la qualité dans un laboratoire exige rigueur et tact. Exiger la reprise d’une tâche peut causer des frictions… La coordonnatrice est néanmoins réputée pour sa générosité. Pousser les jeunes à mener des recherches exemplaires tout en préservant leur équilibre personnel, voilà sa mission.

 

Hors du bureau, la professionnelle s’adonne au yoga et au jogging. Elle accompagne aussi sa mère à titre de proche aidante. « J’inscris tout dans mon calendrier, même mes moments de relaxation. Il faut apprendre à s’accorder du temps pour soi », affirme cette femme bien occupée, qui partage sa vie avec son conjoint et leur fils de 18 ans.

 

De sa carrière, Marilène Bolduc est fière d’une chose en particulier : c’est d’avoir su se développer à la hauteur des exigences du quotidien. Planifier des projets, résoudre des problèmes, transiger avec une foule de gens, médier des conflits… Cette diversité de tâches représente toute une école. Deux décennies plus tard, la lauréate a toujours la piqûre de son métier. « Mon travail de professionnelle de recherche a nourri toutes les facettes de ma vie, médite-t-elle. Je pense être devenue une meilleure personne grâce à lui. »

 

Au sujet de ce prix

Les Prix d’excellence des professionnels et professionnelles de recherche mettent en lumière l’apport crucial de ce personnel à l’avancement du savoir et à l’innovation au Québec. Ils ont été créés en 2016 par la FPPU et deux autres syndicats avec le soutien des Fonds de recherche du Québec. Trois bourses de 2500 $, 1500 $ et 1000 $ sont attribuées dans chaque catégorie : Nature et technologies, Santé ainsi que Société et culture.

 

Photo : Marilène Bolduc, 3e place dans la catégorie Santé aux Prix d’excellence des professionnels et professionnelles de recherche 2024. / source collection personnelle